s Dr. Alice Lebreton Mansuy : Travaux de post-doctorat
Alice Lebreton Mansuy
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Mécanismes nucléaires de contrôle-qualité des ARN eucaryotes

L’accumulation physiologique de macromolécules anormales peut, au cours du temps, devenir dommageable à la survie cellulaire ; leur élimination est par conséquent essentielle. Le métabolisme de l’ARN produit une grande diversité de substrats à dégrader, comme des sous-produits d’épissage (introns) ou de maturation des ARNr, des ARN messagers (ARNm) non fonctionnels, des ARN non codants mal repliés, ou encore des transcrits en fin de vie. La dégradation de ces ARN constitue un mécanisme d’ébouage cellulaire, éliminant des transcrits inutiles et encombrants, voire potentiellement toxiques s’ils entrent dans les voies métaboliques mais ne sont pas fonctionnels. De plus, les nucléotides issus de la dégradation peuvent être récyclés pour synthétiser de nouveaux acides nucléiques.

Plusieurs mécanismes distincts sont impliqués dans la dégradation de ces espèces, qui s’effectue majoritairement par digestion exonucléolytique, soit de l’extrémité 5’ vers l’extrémité 3’, soit de 3’ vers 5’ (pour revue, voir Isken et Maquat, Genes Dev., 2007). Un complexe multi-protéique appelé exosome assure la majeure partie des dégradations 3’—5’ (pour revue, Lebreton et Séraphin, Biochim. Biophys. Acta 2008; Siwaszek et al., RNA Biol. 2014). Il est constitué d’un cœur de 10 sous-unités (Figure 1) ; neuf d’entre elles forment une structure en anneau apparentée à la PNPase bactérienne ou à l’exosome d’archées (Liu et al., Cell 2006), mais dépourvue d’activité ; la dixième sous-unité, Dis3/Rrp44, possède un site RNase II exerçant une activité exoribonucléolytique 3’—5’ (Dziembowski et al., Nat. Struct. Mol. Biol. 2007). Dans le noyau, une autre RNase 3’—5’, Rrp6, s’associe à ce complexe avec son cofacteur Rrp47.

Structure de l’exosome eucaryote

Figure 1. Structure de l’exosome eucaryote. Les neuf sous-unités de la structure en anneau sont représentées en vue de dessus (A) ou de dessous (B) ; elles ménagent un canal central au creux duquel l’ARN peut passer (Liu et al., Cell, 2006). (C-D) Le site d’interaction de Dis3/Rrp44 est positionné sur la face inférieure, à la sortie du canal qui achemine le substrat ARN depuis la face supérieure (Makino et al., Nature 2013). Le dimère Rrp6-Rrp47 vient se positionner sur la face supérieure, à l’entrée du canal d’accès (seule une partie de Rrp6 apparaît ici).

Dans le cytoplasme, l’activité de l’exosome contribue à la “voie de dégradation mineure” des ARNm (Anderson et Parker, EMBO J. 1998), participe au non-stop decay (NSD), un processus de dégradation des ARNm dépourvus de codon stop (van Hoof et al. Science 2002) et au nonsense-mediated decay (NMD), qui élimine les ARNm portant un codon stop précoce (Mitchell et Tollervey, Mol. Cell 2003). Dans le noyau, l’exosome est requis pour la maturation des ARNr, ainsi que des petits ARN nucléaires et nucléolaires (Allmang et al., EMBO J. 1999), et constitue le principal acteur des mécanismes de contrôle-qualité qui s’exercent sur les transcrits naissants.

Sous la bannière d’un mécanisme général, plusieurs voies distinctes coexistent pour acheminer vers l’exosome ses divers types de substrats (Lebreton et Séraphin, Biochim. Biophys. Acta 2008). De nombreux cofacteurs sont connus pour leurs fonctions activatrices, et chacun d’entre eux présente un spectre de substrats caractéristique. Par exemple chez Saccharomyces cerevisiae, les acteurs du contrôle-qualité nucléaire des ARN orientent certains transcrits aberrants vers une dégradation 3’—5’ par l’exosome (Houseley et al., Nat. Rev. Mol. Cell. Biol. 2006; Schmidt et Butler, Wiley Interdiscip. Rev. RNA 2013). Une part de ces transcrits correspond à des ARN dont la maturation est anormale. Ce sont principalement des ARN de transfert, des petits ARN nucléaires et nucléolaires mal repliés, ainsi que des précurseurs d’ARNr aberrants. Une autre part correspond à une catégorie d’ARN instables appelés CUT (Cryptic Unstable Transcripts). Il s’agit d’ARN produits dans les régions intergéniques du génome à partir de promoteurs cryptiques, n’ayant pas de site consensuel de terminaison de transcription et de poly-adénylation par Pap1, ne codant aucun produit polypeptidique. Leur principale vocation connue à ce jour semble d’être dégradés, et l’essentiel de leurs fonctions reste en conséquence mal caractérisé ; cependant, ils pourraient intervenir dans certaines régulations de l’expression génique (Colin et al., Genet. Res. Int. 2011).

La reconnaissance spécifique de ces ARN fait intervenir un complexe de polyadénylation appelé TRAMP (Trf4/5-Air1/2-Mtr4 Polyadenylation complex). Trf4 et Trf5 appartiennent à une nouvelle famille de poly(A) polymérases non canoniques ; les queues poly(A) ajoutées par ces enzymes sont plus courtes que celles synthétisées par Pap1 en 3’ des ARNm, et n’ont pas d’effet stabilisateur ; au contraire, les substrats polyadénylés par TRAMP sont ensuite pris en charge par l’exosome nucléaire, qui assure leur dégradation (Figure 2).

Recrutement du complexe TRAMP et de l’exosome sur 
 les transcrits

Figure 2. Modèle de recrutement du complexe TRAMP et de l’exosome sur les transcrits aberrants. Les ARN anormaux sont rapidement détectés, polyadénylés par Trf4 ou Trf5, puis dégradés par les RNases de l’exosome à partir de l’extrémité 3’.

Outre Trf4 ou Trf5, le complexe TRAMP de levure est constitué des protéines de liaison à l’ARN Air1 ou Air2 et de Mtr4, protéine de la famille des hélicases /em>à boîte DExD/H, qui participe entre autres à la maturation des ARNr (la Cruz et al., EMBO J. 1998). Mtr4 interagit également avec l’exosome nucléaire, et constitue ainsi une interface protéique entre les complexes impliqués dans la reconnaissance et la dégradation des substrats.

Au cours de mon post-doctorat, j’ai développé plusieurs projets : j’ai cherché à apporter une meilleure connaissance du rôle de Mtr4 dans la voie TRAMP chez S. cerevisiae, et à caractériser une machinerie de dégradation similaire chez les eucaryotes supérieurs. Enfin, ma principale contribution au domaine a été l’identification d’une activité endonucléolytique dans l’exosome de levure.


Rôle de l’hélicase Mtr4 dans la voie TRAMP-exosome chez Saccharomyces cerevisiae

Un premier volet concernait l’étude du rôle crucial de l’hélicase Mtr4 dans l’activité de l’exosome, quelle que soit la voie de recrutement (dépendante ou non de TRAMP). Plusieurs hypothèses étaient envisagées : Une activité ARN-hélicase de Mtr4 sur les structures secondaires des ARN facilitant l’action de l’exosome ; une participation directe au recrutement direct de l’exosome via des interactions protéine-protéine ; et/ou une fonction de translocase permettant le déplacement de des cofacteurs protéiques du substrat ARN lors de la dégradation par l’exosome.

Ces travaux n’ont pas été publiés. Un autre groupe a depuis montré que les activités ATPase et de fusion des duplexes ARN-ARN sont requises pour la fonction de Mtr4, et qu’elle intervient après la polyadénylation des substrats par Trf4, et avant leur dégradation par l’exosome (Wang et al., RNA 2008b). Le même groupe a ensuite confirmé le rôle crucial de Mtr4 dans le contrôle de l’activité du complexe TRAMP (Jia et al., Cell 2011), nécessitant entre autres le déroulement des substrats ARN (Jia et al., PNAS 2012).


Caractérisation de l’homologue humain de TRAMP

Une seconde partie concernait la caractérisation de l’homologue humain de TRAMP. Si l’étude de la machinerie nucléaire de dégradation des ARN aberrants était bien avancée chez la levure, aucun mécanisme analogue n’avait été décrit chez les eucaryotes supérieurs. Cependant, des intermédiaires polyadénylés d’ARNr anormaux et de pré-ARNm tronqués avaient été identifiés dans les cellules humaines (Slomovic et al., Nucleic Acids Res. 2006; West et al., Mol. Cell 2006). Ceci laissait penser qu’une activité similaire à celle de TRAMP existait dans les cellules humaines et pouvait, comme chez la levure, orienter les ARN aberrants vers une dégradation par l’exosome. Ce dernier est également retrouvé chez les eucaryotes supérieurs (Sloan et al., Biochem. Soc. Trans. 2012). Par similitude de séquence, nous avons identifié des homologues humains des constituants de TRAMP, suggérant que la machinerie de polyadénylation nucléaire des ARN aberrants était conservée.

Avec l’aide d’une assistante-ingénieure, Marie-élisabeth Dufour, nous avons cloné et purifié les homologues humains des protéines du complexe et montré leur interaction in vitro. L’un des complexes ainsi formés présentait une activité de polyadénylation sur des ARN transcrits in vitro, et stimulait la dégradation d’un substrat par l’exosome de levure. Enfin, tous les candidats étudiés avaient une localisation majoritairement nucléaire (Figure 3, non publié).

Le complexe TRAMP humain a depuis été caractérisé par d’autres groupes (Fasken et al., J. Biol. Chem. 2011; Lubas et al., Mol. Cell 2011).

Figure 3. Co-localisation nucléaire de deux constituants du complexe TRAMP humain.


Activité endonucléolytique de l’exosome eucaryote

L’exonucléase principale Dis3 possède, en plus de son principal domaine catalytique, un domaine PIN, essentiel et de fonction inconnue (Figure 4). Afin de mieux cerner son rôle, j’ai construit différents mutants ponctuels ciblant des acides aminés très conservés dans les différentes régions de Dis3. Les protéines mutées sont incorporées sont produites et incorporées à la structure de l’exosome de levure avec la même efficacité que la protéine sauvage. Ces mutants ne complémentent toutefois pas le défaut de croissance observé en l’absence de Dis3, indiquant un rôle physiologique des domaines ciblés par la mutagenèse.

Les domaines de Dis3

Figure 4. Répartition des différents domaines fonctionnels le long de la séquence de Dis3, comparée à la RNase II procaryote. CR3, domaine de fonction inconnue, contenant 3 résidus cystéine ; PIN, homologie au domaine N-terminal de PilT (activité endonucléase) ; CSD, Cold Shock Domain (OB-fold) ; S1, similaire au domaine de liaison à l’ADN de la protéine ribosomique S1 (OB-fold). Les deux domaines CR3 et PIN sont spécifiques à la protéine eucaryote.

Effets de mutants des différents domaines de Dis3

Lors de l’expression d’un mutant du domaine RNase II dépourvu d’activité exonucléolytique, de nouveaux sites de clivage dans certains substrats de Dis3, en particulier des CUT et des précurseurs d’ARNr (Figure 5). Ces sites de clivage disparaissent chez un double mutant du domaine PIN et du site exonucléase ; le transcrit précurseur s’accumule alors fortement. Le domaine PIN exerce par conséquent un rôle dans la dégradation de certains ARN, indépendamment de l’activité exonucléolytique de Dis3 (Lebreton, Tomecki et al., Nature, 2008).

J’ai caractérisé par extension d’amorces et circular-RACE (circularisation puis RT-PCR) les intermédiaires accumulés par le mutant du domaine RNase II pour l’un des substrats de Dis3. Ils recouvrent l’ensemble de la séquence du transcrit précurseur, et possèdent des extrémités 5’ et 3’ bien définies, localisées dans des régions non appariées. Ces données in vivo nous ont permis de déduire que le domaine PIN exerce une fonction d’endoribonucléase simple brin (Lebreton, Tomecki et al., Nature, 2008). Par ailleurs, des travaux réalisés in vitro par nos collaborateurs R. Tomecki et A. Dziembowski (Département de Génétique et Biotechnologies, Université de Varsovie, Pologne) ont confirmé l’existence de cette activité. Deux autres groupes sont peu après parvenus à des conclusions similaires (Schaeffer et al., Nat. Struct. Mol. Biol. 2009; Schneider et al., Nucleic Acids Res. 2009).

La protéine Dis3 de levure est ainsi devenue la premier représentante de protéines portant les deux activités, exonucléase et endonucléase, dans des domaines distincts. Ces résultats se sont également avérés critiques pour les travaux ultérieurs de caractérisation structurale et fonctionnelle de l’exosome. En effet, l’obtention d’une version mutante de l’exosome totalement dépourvue d’activité ribonucléolytique était un prérequis pour établir la structure du complexe avec un substrat ARN, et ainsi cartographier les canaux moléculaires acheminant l’ARN vers les sites actifs (Makino et al., Nature. 2013).

Figure 5. Effets des mutants de Dis3 sur la dégradation des substrats de l’exosome. Exo- désigne le mutant du domaine RNase II, Endo- le mutant du domaine PIN.


Caractérisation des substrats physiologiques de l’exosome

En observant l’incidence de mutations touchant Rrp6 ou Dis3 sur différents substrats (précurseurs d’ARNr, CUT et snARN), j’avais constaté, malgré la redondance fonctionnelle des deux nucléases, une préférence relative pour certains types de transcrits. Ces données laissaient penser que les substrats pourraient être orientés au sein de l’exosome vers différentes voies de dégradation, prédéfinies en amont par des cofacteurs comme TRAMP.

Afin de mieux comprendre les mécanismes coopératifs de dégradation des ARN et de leur rôle physiologique, les équipes d’Alain Jacquier et Domenico Libri ont poursuivi l’étude de la contribution des différentes activités endo- et exo-nucléolytiques de l’exosome à l’élimination des précurseurs d’ARN (Gudipati et al., Mol. Cell 2012). Cette étude a confirmé la redondance fonctionnelle partielle de Dis3 et Rrp6 pour la dégradation de différentes classes de substrats, comme par exemple des transcrits immatures avant leur épissage. De façon surprenante, une grande quantité de précurseurs d’ARNt est également dégradée en l’absence de tout défaut de maturation. Ceci suggère que la machinerie de dégradation entre en compétition cinétique avec les voies de maturation des ARN cellulaires, permettant une surveillance de l’efficacité de la maturation, mais conduisant également à l’élimination précoce de nombreux transcrits.


Conclusion

Depuis la découverte de l'exosome eucaryote, les recherches réalisées par plusieurs équipes ont conduit à revoir radicalement son mode d’action. En effet, les premières études laissaient penser qu’il s’agissait d’un complexe constitué d’une dizaine d’exonucléases 3’—5’ (Mitchell et al., Cell, 1997). Les études structurales et fonctionnelles (Dziembowski et al., Nat. Struct. Mol. Biol., 2007; Liu et al., Cell — erratum, 2007) ont en revanche montré que neuf des sous-unités du cœur de l’exosome sont dépourvues d’activité, et que seules Dis3 et Rrp6 sont des exonucléases.

Mes travaux se sont inscrits dans la continuité de ces études, en révélant l’existence d’un domaine endonucléase au sein de Dis3. Ce domaine pourrait assister les fonctions exonucléolytiques de l’exosome, par exemple en créant des extrémités supplémentaires dans les substrats et ainsi permettre une réinitiation de la dégradation lorsque la progression de l’exosome est bloquée (Fig. 6).

Aussi bien chez la levure que chez l’homme, la fonction des neuf sous-unités formant la structure en anneau de l’exosome est encore incertaine. Les hypothèses actuelles sont en faveur d’un rôle de cette structure dans la régulation des activités des nucléases, en permettant un accès sélectif des substrats aux sites catalytiques via le canal central, et en favorisant l’ancrage des différents cofacteurs de l’exosome qui assistent la dégradation.

Le modèle de l’endo-exosome

Figure 6. Modèle envisagé pour l’implication de l’activité endonucléolytique du domaine PIN de Dis3 dans la dégradation des substrats de l’exosome.